
Jean-Luc Pradier nous plonge au cœur de l’EPIGN

Pour la première fois dans l’histoire de la gendarmerie nationale, un escadron 9/11 parachutiste de la gendarmerie mobile voit le jour le 1er janvier 1971. Implantée à Mont-de-Marsan, l’unité est désignée comme escadron prévôtal de la 11ème DP, au profit des forces d’intervention d’outre mer. Elle est également présente au Tchad, au Liban, en Centre-Afrique. En 1974, l’administration lui confie la création du premier groupe d’intervention de la gendarmerie, appelé GIGN IV. L’appellation d’escadron parachutiste d’intervention de la gendarmerie nationale (EPIGN) est donnée à partir du 1er janvier 1984. A compter de cette date et jusqu’au 1er septembre 2007, l’EPIGN, le GIGN et le GSPR sont regroupés à Satory sous l’égide d’un état-major, le groupement de sécurité et d’intervention de la gendarmerie (GSIGN – le GIGN regroupe aujourd’hui les trois unités nommées Forces). Ainsi, si le GIGN était l’unité d’intervention de référence, l’EPIGN était l’unité parachutiste prévôtale par excellence de la gendarmerie. L’EPIGN est l’héritier des commandos de chasse de la gendarmerie, l’insigne du béret bleu en est inspiré. Jean-Luc Pradier, brevet n°281 de l’EPIGN, nous raconte son expérience autant en parachutisme, protection, intervention, mutinerie en milieu carcéral, évacuation de ressortissants en zone de guerre ou encore en matière de formation.
Petit par la taille mais imposant par la carrure musclée, Jean-Luc, dit Petitlu, a accepté de partager pour nous avec passion son vécu. Titulaire de la légion d’honneur, de la médaille militaire, de la croix du combattant, de médailles d’honneur du premier ministre et du ministre des affaires étrangères, ainsi que de plusieurs médailles d’acte de courage et de dévouement, ses décorations sont à l’image d’une carrière réussie au service de son unité et de son pays. Engagé volontaire en 1976, Jean-Luc prépare le concours de pilote dans l’armée de l’air mais choisit finalement les commandos de l’air. En 1977, il passe six mois à Djibouti qui est touché par les attentats et les violences inter-ethnies alors que l’indépendance du pays est tout juste acquise. En 1978, il participe à l’opération lamentin en Mauritanie. En 1982, il décide de rejoindre la gendarmerie, il est affecté en équipe légère d’intervention (ELI) à Satory avec laquelle il va effectuer trois séjours en Nouvelle-Calédonie et un en Corse. Il passe les tests en 1983 pour intégrer « l’EPI », comme ils l’appellent entre eux, qui s’installe simultanément à Satory. « Très vite les missions d’intervention et de protection se sont enchaînés à un rythme effréné », explique Jean-Luc. « Les premières missions de protection d’ambassades françaises se déroulent en Roumanie, Colombie, Algérie, Salvador, Zaïre, Togo ou encore la Côte d’Ivoire ». En 1986, la mission de protection de l’EPIGN revêt encore plus d’importance avec la création du peloton de protection des hautes personnalités (PPHP).
|
![]() |
|
|
Lors de la prise d’otages d’Ouvéa en 1988, Jean-Luc prend part au détachement de l’EPIGN mobilisé autour de la grotte. L’environnement calédonien lui était déjà familier bien avant cela. « J’ai passé mon enfance en Nouvelle-Calédonie jusqu’à l’âge de 16 ans, mes amis étaient kanaks. Au moment de l’assaut, je suis avec Lulu à la porte droite de l’hélicoptère puma qui a pour mission de guider les troupes au sol sur la localisation exacte de la grotte. De l’autre côté porte gauche, Marc est le premier blessé, il prend deux balles. Nous sommes à ce moment précis en stationnaire au-dessus de la grotte et nous devons la vie aux gilets pare balles posés sous nos pieds car les preneurs d’otages nous arrosaient avec du 5×56 ». Lui aussi a vu le film L’ordre et la morale de Mathieu Kassovitz et en a été profondément choqué. « J’ai vécu l’assaut aux côtés de mes collègues de l’EPIGN et des autres unités présentes qui n’étaient pas heureuses du résultat de cet assaut. Une fois la prise d’otages terminée, j’ai participé au transport des kanaks jusqu’à Fayaoué au cours duquel tout s’est bien déroulé ». Et d’ajouter : « Je n’ai absolument rien vu ou entendu au sujet d’agissements contraires à l’éthique de nos unités. Nous sauvons des vies tout au long de nos carrières, c’est pour cela que nous choisissons ce métier ». En juillet de la même année, il a du y retourner pour récupérer des Famas qui avaient été volés par les preneurs d’otages.
Jean-Luc est aussi de la partie en 1994 à Marignane pour sécuriser la récupération des otages à leurs descentes des toboggans de l’avion et surtout vérifier qu’aucun preneur d’otages ne se mêlerait parmi eux. « On leur a mis les mains sur la tête le temps de faire cette rapide vérification de sécurité. Ensuite, on les a amené vers l’arrière de l’appareil pour les éloigner de la zone de danger ». Le risque de prendre une balle perdue était réelle, ils se faisaient tirer dessus lors de leur approche en bus à l’arrière de l’airbus alors que les opérationnels du GIGN donnaient l’assaut. « C’est bien sûr une intervention très marquante qui montre une fois de plus – après Ouvéa – la complémentarité des unités du GSIGN ».
![]() |
Les missions ne manquent pas sur le territoire métropolitain. Les jeux olympiques d’hiver à Albertville en 1992 ou encore les sommets franco-allemands illustrent ce savoir-faire unique de l’EPIGN en audits de sécurité. Les commémorations du 50è anniversaire du débarquement en Normandie mobilisent soixante opérationnels de l’EPIGN un mois avant la tenue de l’évènement. En 1996, Jean-Luc est appelé avec une quinzaine de ses collègues pour assurer la sécurité du Pape en visite en France. Un an avant le déroulement de la coupe du monde de football en 1998, l’unité est sollicitée pour réaliser des audits : stades, aéroports, hôtels, transports, restaurants. Tout y passe. Rien n’est laissé au hasard pour un évènement de cette ampleur. « Nous avons ensuite protégés les footballeurs lors de la compétition, c’était une mission très intéressante », précise-t-il. La protection des chefs d’Etat en visite en France et de certaines personnalités menacées font aussi partie de leurs prérogatives. « Ce sont des missions exaltantes, exigeantes mais aussi éprouvantes », confie-t-il. « Ce qui est extraordinaire, c’est que l’on pouvait se retrouver une semaine en costume au palais de l’Elysée, une autre semaine en tenue caniveau pour une filature dans le grand-banditisme, ou encore partir en trente minutes à l’autre bout du monde pour protéger un ambassadeur. C’est pour cela que j’ai choisi l’EPIGN, nous étions en quelque sorte les couteaux suisses du GSIGN ». | |
A l’étranger, les missions de protection se succèdent autant que de nombreux conflits secouent simultanément la planète. L’EPIGN était présent dans plus de 60 pays, missions qui sont aujourd’hui assurées par la Force Sécurité/Protection. « Alors que la guerre au Congo Brazzaville fait rage en 1997, l’ambassade française a été la seule à rester ouverte pendant toute la durée du conflit. Nous étions seuls et nous avons tenus environ six mois, c’était la mission la plus difficile à laquelle nous étions confrontés et nous avons eu des blessés dans nos rangs ». Les hommes se regroupent dans la résidence de l’ambassadeur pour faire un fort chabrol. Le manque de nourriture, la violence permanente des combats jour et nuit rendent la situation très tendue mais ils ont tenu jusqu’à la fin du conflit.
Trois ans auparavant, Jean-Luc se souvient d’une autre mission très chaude à Haïti. L’ambassadeur français était invité à un débat au parlement haïtien avec tous les autres ambassadeurs étrangers. « Bruno et moi sommes les seuls protecs à rentrer dans l’hémicycle. Tout à coup, des tontons macoutes (milice paramilitaire haïtienne, ndlr) pénètrent dans la salle et mitraillent en tuant le président du parlement. Dans la panique générale et face aux tontons macoutes, nous réussissons à exfiltrer notre ambassadeur ainsi que celui des Etats-Unis et le vice-président du parlement. Nous évacuons la zone en urgence. Olivier, notre chauffeur, était positionné à l’extérieur selon nos prérogatives et il a fait un travail formidable ». Tout cela est permis grâce à une intense préparation et un entraînement pointu poussé à l’extrême.
La Somalie, autre terrain de tension en 1993, oblige l’ambassade française à fermer et à évacuer en dernière son infrastructure. « 47 onusiens pakistanais se font tuer sous nos murs alors que nous sommes nous-mêmes pris pour cible, nous avons évacué à bord de deux véhicules vers l’aéroport où un transall nous attendait pour regagner Djibouti. Il fallait passer les barrages et éviter des tirs directs dans notre direction, c’était le chaos ». Jean-Luc est également appelé en Ethiopie pour évacuer les ressortissants français. Au cœur de la capitale Addis-Abeba, les combats se font à l’arme lourde, les chars crachent leur obus. « Nous avons fini par être encerclés par les rebelles érythréens, un garde askari est tué. Certaines images restent gravées pour toujours », se souvient-il avec émotion.
|
![]() |
|
|

©Mika
Toutes les missions de protection dans les ambassades ne se ressemblent pas. Les hommes de l’EPIGN bénéficiaient à certains moments d’échanges de renseignements avec la DGSE (CPIS), le COS ou encore avec des unités étrangères dont il garde un bon souvenir. « Nous avions des bonnes relations avec les italiens, britanniques ou encore canadiens ».
Il participe également à des échanges inter-unités. Leurs homologues sont très demandeurs en formation de tireur d’élite, contre-tireur, tir d’intervention et protection. En sport de combat, il crée une association d’arts martiaux professionnels et « nous étions les premiers avec Gilles et Pilou à dispenser des cours en tonfa, bâton, yawara et menottage en gendarmerie après avoir suivi une formation commune avec Robert Paturel (ancien RAID) ». L’EPIGN participe à des échanges dans des domaines bien précis avec les commandos marine, le 13è RDP, le Service Action de la DGSE ou encore la Légion étrangère.
![]() |
Pendant dix mois, Jean-Luc a été envoyé en Jordanie pour former la garde royale. « Nous sommes partis de zéro avec les jordaniens qui n’avaient pas l’habitude de courir plus de deux kilomètres. Nous leur avons appris à courir plus de quinze kilomètres en plein soleil avec onze kilos sur le dos. Jour et nuit, nous les avons mis à niveau. Nous nous relayions entre instructeurs pour garder les meilleurs. A la fin du stage, nous les avons présenté en démonstration dans le palais royal en présence du roi jordanien qui leur a remis leurs diplômes. Nous leur avons même appris le tir de confiance à quinze mètres au pistolet qui a été montré sur un général lors de la démonstration finale ». Et les échanges avec les autres unités d’intervention françaises ? « Nous avions de bonnes relations avec le RAID dont on rencontrait parfois les personnels en cachette lors de missions de filatures d’indépendantistes corses ». | |
En jordanie |
En 1998, Jean-Luc a vu les femmes se présenter pour la première fois aux tests de l’EPIGN. Deux femmes les ont réussi et ont intégrées le groupe d’observation et de recherche (GOR), aujourd’hui fondue au sein de la Force Observation-Recherche du GIGN. « Elles ont des capacités certaines psychologiques et mentales que les hommes n’ont pas et qui sont très utiles en surveillance ou encore en négociation. Néanmoins, sur le plan physiologique, elles n’ont pas la puissance, les muscles et la vitesse d’un homme, surtout en étant harnaché avec l’équipement complet », explique-t-il.
Atteint par la limite d’âge en 2001, Jean-Luc doit quitter l’EPIGN mais il continue à servir le GSIGN puis le GIGN en tant que réserviste. A cela s’ajoute une reconversion qui tangue entre des missions de formation, d’audit, de sécurité privée pour des groupes, de protection rapprochée pour des personnalités menacées, des cabinets d’avocats tant en France qu’à l’étranger. Aujourd’hui, il est conseiller bénévole auprès d’un programme humanitaire de l’UNESCO qui associe des athlètes de haut niveau (plus de 50 écoles concernées à travers le monde depuis 2002). Il prépare également mentalement des sportifs de haut niveau pour les championnats du monde et les jeux olympiques. Il travaille actuellement d’arrache-pied à la création d’une académie africaine en cybercriminalité, intelligence économique, gestion de crise et des risques et sécurité privée avec à la clef l’obtention de master reconnus. « La rigueur, l’esprit d’équipe, la compétence, la convivialité de l’EPIGN nourrissent constamment ma vie, c’est une expérience unique dans la vie d’un homme. Nous ne sommes pas des héros ou des surhommes mais simplement des personnes atypiques qui ont foi dans la vie, qui croquent la vie à pleins poumons de parachutistes, avec un respect constant pour la vie d’autrui ».
|
![]() |
|
Jean-Luc, à droite sur la photo |
Visiter le site de l’amicale des anciens de l’EPIGN
N’hésitez pas à réagir dans le fil de discussion dans le forum
Article rédigé par Quentin Michaud - Février 2012
Crédits photos: © gign.org - Sauf 4-6 © Mika

